Les médecins commencent à s'exprimer sur les abus des assurances et l'échec du système légis
Un médecin réagit sur l'article de Marc van Impe, apparu hier :
La pétaudière, c'est lorsqu'un médecin-conseil de plusieurs assurances (notamment "loi") accepte habituellement des missions d'expertises judiciaire en qualité d'expert du tribunal/de la cour, même lorsque ses mandantes assurances courantes sont à la cause...
Médecine d’assurance: Geens n’a pas de temps à perdre
VILVORDE 11/09 - Il n’est pas dans mes habitudes de citer des chants religieux, mais dans le genre, c’est le Psaume 41:10 qui m’a sauté à l’esprit: ‘Même mon meilleur ami, qui avait ma confiance et qui mangeait mon pain, s’est tourné contre moi.’ En langage de tous les jours: ‘Celui louer devons de qui le pain mangeons’, ‘Cuius enim panem manduco carmina canto’.
J'y pensais justement lorsque, à la suite de la tribune libre de Madame Anke Santens et de ma colonne sur les pratiques de certains médecins-conseils, je reçus d'un oncologue de mes amis un extrait rendu anonyme d'un dossier de patient.
Celui-ci révélait qu'un de ses confrères, rémunéré par une grande compagnie d'assurance de la zone piétonnière de Bruxelles, lui avait demandé si un carcinome spinocellulaire de l'oesophage ne pourrait pas être la conséquence d'une consommation abusive de tabac et d'alcool que se permettait le patient.
Il n'est pas difficile de deviner à quoi le demandeur faisait allusion.
L'oncologue n'est pas la seule à nous signaler des demandes impertinentes, même déplacées.
Quelque chose se trame dans le monde des experts médicaux judiciaires.
Le cabinet du ministre fédéral de la justice Koen Geens a encore le temps, jusqu'à la fin décembre 2016 plus précisément, pour publier les arrêtés d'exécution de la nouvelle loi sur les experts judiciaires. Le ministre a constitué dans cette perspective un groupe de travail qui est composé, pour ce qui est des affaires médicales, de représentants d'Assuralia, le défenseur des intérêts des assureurs, l'association des experts judiciaires elle-même, l'Ordre des Médecins, mais…pas de Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS) ni de la Vlaams Patiëntenplatform, ni d'aucun autre groupement de défense des patients comme Stop Misbruik Verzekeringen, la vzw Care for Us ou de divers autres défenseurs des droits des patients.
La plupart des problèmes se situent au niveau des soi-disant lésions «invisibles» : le coup du lapin, les lésions cérébrales traumatiques (TBI)/dommages axonaux, le SFC, la fibromyalgie, mais il existe aussi une tendance visant à culpabiliser les patients: la tabagie, l'abus d'alcool, l'obésité sont les premières habitudes répréhensibles qui viennent à l'esprit.
Des liens de cause à effet sont aussi établis avec la grossesse, la FIV ou des tentatives à cet effet, l'accouchement ou encore les césariennes, afin de servir d'excuse ou d'argument afin de ne pas devoir passer immédiatement à l'application des obligations contractuelles. On choisit volontiers dans ces cas de diriger le patient dans le cadre d'une expertise médicale amiable (ou judiciaire, EMA) vers le psychiatre de service qui, mentalement bien disposé, en tire la bonne conclusion.
Il existe bien entendu des méthodes de médecine factuelle (EBM) permettant de prouver la réalité de la souffrance et des lésions. L'électro-encéphalographie Q-EEG est l'une de ces méthodes. Une directive conjointe émanant de la Justice et de la Santé publique, approuvée par Assuralia et l'Ordre, qui établirait que le Q-EEG doit devenir un examen standard lors de la constatation de la première série de lésions, aiderait déjà grandement et enverrait un signal fort exprimant l'importance que la Justice attache vraiment aux expertises impartiales.
«Cela permettrait aussi d'augmenter considérablement le nombre de règlements à l'amiable, car les assureurs sauront dès lors que leur stratégie d'aggravation de la simulation appuyée par des psychiatres ne convaincra plus personne,» affirment des experts en expériences. «Les personnes qui reçoivent rapidement de l'aide et un traitement ont davantage de chance de se rétablir partiellement ou pleinement. Cela permettra aussi d'autre part de débusquer les profiteurs via le Q-EEG, ce qui sera tout bénéfice pour le secteur des assurances. Sans parler du soulagement que cela apportera aux tribunaux!».
Mais cela ne résout toujours pas le problème des dossiers falsifiés qui est toujours d'actualité. Le ministre pourrait faire procéder à une réévaluation de tout cela par une commission spéciale afin de permettre aux victimes concernées d'obtenir assez rapidement une évaluation exacte de leurs lésions et de leurs dommages. Il existe suffisamment d'experts judiciaires intègres dans notre pays qui pourraient siéger au sein d'une telle commission.
Si le secteur des assurances se rend compte que la Justice et la Santé publique prennent les choses au sérieux avec leurs mesures, je suis convaincu qu'il y a beaucoup de chances que nous assisterons alors à une vague de règlements à l'amiable rapides et ‘spontanés' et que le secteur entamera rapidement lui-même sa propre réorganisation comme ce fut le cas il y a quelques années dans le secteur de l'expertise automobile. Une réorganisation issue du secteur lui-même reste préférable. Le ministre Koen Geens pourra parfaitement lui donner ce «petit coup de pouce dans le dos» pour l'y encourager.
Pour ce qui concerne les médecins en particulier, la seule solution est de les classer dans 4 catégories:
- les médecins travaillant uniquement pour les caisses d'assurance maladie-invalidité
- travaillant exclusivement pour les tribunaux
- travaillant exclusivement en tant que médecin-assistant
- et exclusivement pour les pouvoirs publics.
Cela rendrait immédiatement impossible la situation d'un médecin comme le Docteur W qui est médecin-chef du plus important assureur du pays, en même temps que médecin au Fonds des Accidents Médicaux (FAM) et responsable du recrutement de nouveaux médecins-conseils et de médecins du secteur public, et qui est lui-même partie prenante dans plusieurs affaires judiciaires. Et pour ce qui concerne les professeurs d'université, un audit interne pourrait les convaincre de mettre fin en toute discrétion à leurs «activités d'expertise» et de se concentrer sur leur travail d'enseignement et de recherche.
Et ceci encore pour terminer: j'ai eu l'occasion d'être le témoin du fait que le responsable principal de la psychiatrie et de la médecine légale d'une université flamande, au service de cet important assureur, a, en toute connaissance de cause et en toute liberté, fait l'impasse durant quelque quatre années sur un élément élémentaire d'un dossier. Ce n'est qu'après s'être retrouvé littéralement le dos au mur après la troisième EMA, qu'il a sorti de sa mallette le document crucial. Et c'est tout à fait par hasard si une copie de sa note d'honoraires s'y trouvait également. Nous étions entre-temps passés du franc à l'euro, mais l'importance du montant était encore hallucinante. L'assureur a rapidement opté pour un règlement judiciaire. Alors pas de jurisprudence, s'il vous plait.
Si le ministre Koen Geens prend les choses au sérieux, il ne s'efforcera pas à aboutir à une solution équilibrée qui n'existe d'ailleurs pas, mais au rétablissement radical d'une situation devenue plus que tordue. Il a encore une bonne année devant lui pour ce faire.
Marc van Impe
Source : MediQuality 11/09/2015
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